Somaliland-Puntland, nouveau risque de conflit
Le 15 mai dernier, des heurts ont éclaté dans le territoire internationalement reconnu de Somalie, entre deux régions sécessionnistes ou autonomistes : le Somaliland et le Puntland. La crainte d’un nouveau conflit armé dans cette zone particulièrement instable n’est pas totalement écartée.
La partition de la Somalie
En 1991, lorsque le général Siad Barre quitte le pouvoir en Somalie, différentes factions armées se disputent le contrôle de l’Etat. La région du Somaliland au nord-ouest, qui a connu des volontés sécessionnistes depuis le début des années 80, proclame dès lors son indépendance. Le Somaliland, contrairement au reste de la Somalie colonisée par les Italiens, a été un protectorat britannique. Le Somaliland a proclamé son indépendance seul en 1960 puis s’est immédiatement réunifié avec la Somalie. Toutefois, la centralisation du pays autour du sud, les difficultés économiques et l’autoritarisme de Barre ont favorisé la sécession, effectuée de fait dès 1991 mais non-reconnue ni par l’Union Africaine, ni par les Nations Unies.
Tandis que la guerre civile s’enlise dans le pays, c’est le nord-est du pays qui proclame sa propre autonomie en 1998 sous le nom de Puntland. La stratégie du Puntland est la suivante : plutôt que de devenir indépendant, ses autorités continuent à gérer le territoire en attendant que la Somalie soit totalement pacifiée. Dans un second temps, elles ré-intègreront l’Etat somalien à condition que celui-ci soit un Etat fédéral où l’autonomie sera garantie. Somaliland comme Puntland ont tous deux réussi à bâtir des institutions relativement solides, bien que le Puntland doive faire face à la question de la piraterie, l’un des enjeux principaux aux yeux des grandes puissances.
Des territoires contestés
Somaliland et Puntland ont connu des conflits récurrents autour de territoires revendiqués par les deux parties. Le Somaliland est principalement peuplé par la tribu somalie Dir-Ishaaq, tandis que la tribu Darod est majoritaire dans le Puntland (on la retrouve également dans le sud de la Somalie). Toutefois, trois provinces sous contrôle du Somaliland (et anciennement sous protectorat britannique) sont peuplées par la tribu Darod et en 1998, le Puntland revendique ces régions. Des heurts entre les deux armées ont eu lieu en 2002, 2007, 2010 et 2016, qui ont permis des gains territoriaux au Somaliland. Ces trois provinces (Sool, Ayn et Sanaag) ont tenté plusieurs fois d’obtenir leur propre autonomie, notamment en luttant contre les forces du Somaliland en 2010 à Ayn, en vain. En 2012, les autonomistes forment l’administration de l’Etat de Khatumo et entament en 2016 des négociations avec le Somaliland.
C’est à la frontière entre le Somaliland (incluant le Khatumo) et le Puntland qu’ont eu lieu les heurts récents, autour du village de Tukaraq. D’après le journaliste Hassan Istilla, le nombre de morts le 18 mai serait de plus de cinquante soldats. Chacune des deux parties accuse l’autre d’être responsable des hostilités. Le Président de la Somalie, qui n’a de fait une autorité que théorique sur le Puntland et aucune sur le Somaliland, a appelé immédiatement au calme tandis que l’ONU a mandaté un de ses représentants pour éviter l’escalade militaire. Si le Président du Somaliland Muse Bihi Abdi a tenté un relatif appel à l’apaisement, le Puntland se prépare à la guerre d’après un communiqué où le Somaliland est accusé de soutenir Daesh et Al Shabab. Un cyclone vient par ailleurs de frapper le Somaliland, faisant au moins vingt-cinq victimes. Les autorités du Puntland voient peut être cette catastrophe naturelle comme une opportunité pour récupérer des territoires qu’ils estiment être les leurs.
Le Somaliland, nouvel enjeu stratégique
Le Somaliland s’est construit une bonne réputation auprès des observateurs étrangers. La région est stable, ses institutions relativement solides. L’intérêt s’en est trouvé accru pour deux acteurs régionaux : les Emirats arabes unis et l’Ethiopie. Les Emirats voient dans le Somaliland à la fois un moyen d’affaiblir la Somalie, alliée au Qatar et à la Turquie, et une arrière base en mer rouge, en face du théâtre yéménite. L’Ethiopie voit également dans le Somaliland un moyen d’affaiblir son voisin et rival somalien, mais également une région stable alors qu’Al Shabab reste une menace pour Adis Abeba, au point d’envoyer l’armée éthiopienne en Somalie en 2006. Les ports du Somaliland sont développés par les Emirats et intéressent l’Ethiopie, enclavée et dépendante de Djibouti pour l’accès à la mer. Reste à savoir dans quelle mesure les deux parrains du Somaliland le soutiendront dans les conflits locaux futurs : favoriseront-ils une politique expansionniste, ou préféreront-ils sécuriser les atouts déjà obtenus en limitant les revendications ?